Les petits maraudeurs : Peinture de Désiré
François Laugée. Huile sur toile.
Présenté au Salon des Artistes Vivants de 1859 et à l'Exposition des Beaux-Arts de Rouen de 1860.
Dans le Feuilleton de la Presse du 11 juin 1859, Paul
de Saint-Victor commente ainsi le tableau : «
Monsieur Laugée marche dans les sabots de Monsieur Breton ; il ne l’atteint pas encore mais il le suit
d’un bon pas. – Ses petits maraudeurs sont pris
de nature, comme par une main de garde champêtre.
Ils font cuire dans un four les pommes de terre qu’ils viennent de voler.
L’un deux assis par terre surveille la cuisson d’un air méchant
et hagard : il ira au bagne ce petit Poucet, avec des bottes
de sept lieues. L’autre fait le guet embusqué contre le talus,
dans une pose grimpante et rampante d’une justesse extrème.
"C’est une couleuvre ce petit serpent-là !" »
Dans le Feuilleton de la Presse du 11 juin 1859, Théophile
Gautier commente ainsi le tableau : « Dans
les Petits Maraudeurs son individualité perce davantage,
et le tableau n’en vaut pas moins. Deux gamins de campagne,
mauvais sujets en herbe, de ceux qui donnent du fil à retordre aux
gardes champêtres, voleurs de fruits, dénicheurs
d’oiseaux , tendeurs de collets, graine de braconniers,
font cuire à un foyer improvisé des pommes de terre arrachées
au champ voisin ; l’un surveille la cuisson, l’autre
fait le guet et le caractère des associés se révèle
dans leur physionomie ; il y a un Robert Macaire et un Bertrand dans ce couple. »
Dans Souvenirs du Salon de 1859, Maurice Aubert écrit : « Ces deux prédestinés à la casaque
et à la chaîne du forçat sont en train
de faire cuire des pommes de terre qu’ils viennent de voler en attendant
mieux. L’un, dans une attitude craintive et rusée, fait le guet,
tandis que l’autre, dont la physionomie est pleine
promesses pour les lecteurs de la Gazette des Tribunaux
attend le moment de prendre ce repas mal acquis. La manière
de Monsieur Laugée a quelque chose de celle de l’auteur des Glaneuses, et l’on dit qu’il semble se rallier
au camp des réalistes, opinion à l’appui
de laquelle on pourrait citer, outre ses Maraudeurs, le Goûter
des cueilleuses d’oeillettes et Le
Repos. Quoi qu’il en soit, il dessine bien, il compose bien, il peint bien, trois éléments
du succès qui ne lui a pas manqué. »
Dans la Tribune artistique et littéraire du midi, Marius Chaumelin écrit : « Ce n’est pas
un métier fort agréable que celui auquel se livrent Les
petits maraudeurs de Monsieur Laugée, --
deux garnements en train de faire cuire des pommes de terre qu’ils ont
dérobées dans le champ voisin. Le plus âgé, assis
sur le rebord de la route, fronce le sourcil et nous regarde d’un air
farouche ; vous lisez sur son visage effronté qu’il n’a
aucun remords de son larcin ; bien au contraire, il semble méditer
d’autres exploits ; encore quelques années et ce sera un justiciable
de la Cour d’Assise. Son complice, ne paraît pas aussi tranquille
; il se cache derrière un talus et fait le guet. Si le garde champêtre
allait survenir !..—Cette composition d’un réalisme qui n’a rien d’exagéré, est pleine de vérité
et de vie. Les deux vauriens ont des attitudes d’un naturel exquis.
La peinture claire, franche, sans empâtement, est d’une
solidité extrème. – C’est là assurément,
l’un des meilleurs tableaux de genre du Salon. »
Dans l'Art de la rue et l'Art au Salon, E. de B. de Lepinois écrit : Il ne faut pas chicaner un peintre sur les sujets de son choix, à moins toutefois qu'en voyant son tableau des Maraudeurs, on ne reproche à M. Laugée, par un déplorable abus de la langue, d'aimer trop les mauvais sujets. Il y a, en effet, dans cette charmante petite toile, un jeune vaurien qui finira sur l'échafaud, si le martinet du maître d'école n y met bon ordre.
Maxime Du Camp dans Le Salon de 1859 commente ainsi : M. Laugée se range parmi les paysanistes, et nous croyons qu'il fait bien ; nous nous rappelons de lui cependant, au salon de 1852, un Siège de Saint-Quentin qui avait de fort remarquables qualités et où un Espagnol tombé avait donné motif à un tour de force de dessin très-habile. Son talent ferme et précis nous semble néanmoins plus apte à surprendre la nature sur le fait et à la traduire dans l'expression vive qu'elle cause. En effet Christophe Colomb au couvent de Sainte-Marie de Rabida, malgré des expressions cherchées et quelquefois trouvées, n'approche pas des autres tableaux exposés par M. Laugée. Les petits Maraudeurs surtout ont un mérite de facture, de vérité et d'harmonie qui prouvent qu'en exploitant cette veine, M. Laugée a peut-être trouvé sa véritable voie. Deux garçons de la campagne ont été dans les champs voler des pommes de terre, et sont revenus, essoufflés et craignant d'être surpris, les faire cuire dans un four improvisé par eux derrière un mur en pisé. L'un d'eux, assis, les jambes étendues, le front contracté, l'œil remuant et renfoncé sous d'épais sourcils, regarde vers l'horizon avec inquiétude et prouve par sa mine patibulaire et dure qu'il pourra bien aller par la suite étudier en cour d'assises le respect dû à la propriété d'autrui. Le dessin est d'une extrême justesse, et la couleur, harmonieuse dans son ensemble, serait irréprochable si elle n'était peut-être encore un peu froide.
Henry Fouquier dans Etudes artistiques, Lettres sur le Salon de 1859, commente ce tableau : M. Laugée, en abordant tous les genres de peinture nous force à parler souvent de lui, et c'est un plaisir pour nous. Ses Maraudeurs et ses Petits amateurs sont deux toiles gaies et spirituelles. - Dans un creux de chemin, deux gamins ont allumé du feu. L'un, couché à demi, surveille l'ennemi du dehors, un garde champêtre sans doute. L'autre, fait cuire le butin. - Ses amateurs sont deux bambins, frère et sœur, joufflus, roses et curieux. Ils ont violé la consigne et se sont introduits dans l'atelier du peintre. Quels grands yeux ils ouvrent devant une esquisse posée sur un chevalet. « Que cela est beau et qu'il est habile le monsieur de Paris!» M. Laugée a fait preuve de goût en sachant sacrifier les détails inutiles à son sujet. En général quand il s'agit de représenter une scène dans son atelier, le peintre ne résiste pas au plaisir de peindre le sien. Il écarte ainsi, par la foule des détails intéressants, l'attention du spectateur que M. Laugée a su concentrer sur les deux enfants.
Dans la Revue Germanique, Charles Dollfus présente la tableau ainsi : La couleur de M. Laugée est harmonieuse et sobre, mais un peu monotone; son dessin est libre et délicat. Les Maraudeurs sont pleins d'esprit, de mouvement, d'abandon et de naturel. Ce qui plaît dans Mrs. Breton et Laugée, c'est avant tout, le naturel. Que de talent il faut pour être naturel avec art! Puissent-ils ne se jamais départir de ces précieuses qualités.