Le goûter des cueillettes d’oeillets : Peinture
de Désiré François Laugée. Huile
sur toile. Présenté au Salon de Saint-Quentin
de 1859 et au Salon des artistes Vivants de 1859. Musée d’Orsay à Paris.
On reconnaît bien la campagne picarde
avec ses grands horizons et ses ciels pastels. On est proche
de l’Ecole de Barbizon avec la quelle
l’auteur était très liée sans
pour autant en faire partie.
Dans le Feuilleton de la Presse du 7 juillet 1859, Paul
de Saint-Victor commente ainsi ce tableau : «
Le goûter de cueillettes d’œillets offre
des qualités d’observation sagace et sincère.
Une vieille femme et une jeune fille font, au pied d’une meule, leur
repas frugal. Elles mangent lentement, longuement, avec ce recueillement animal
particuliers aux appétits campagnards. Ce groupe si bien posé,
se détache sur une plaine colorée d’une
fine fleur de ton. »
Dans le Feuilleton de la Presse du 7 juillet 1859, Théophile
Gautier commente ainsi ce tableau : « Assises
auprès d’un tas d’oeillettes dressées en gerbes,
au milieu d’un champ à demi dépouillé,
une femme âgée et une jeune fille mangent, on pourrait presque
dire broutent, avec la placidité animale ordinaires aux paysans,
qui mettent tant de lenteur à prendre leur nourriture ; maigre est
leur pitance ; un morceau de pain bis tout sec.
D’autres femmes, à divers plans, arrachent les tiges ; -- le
paysage, dont la ligne horizontale n’est coupée que par quelques
plantes encore debout, a une fermeté douce et une lumière tranquille
en harmonie avec le caractère simple de cette petite scène rurale. – Au premier aspect, on dirait une toile de
Monsieur Breton, tant Monsieur Laugée s’est assimilé la manière de son prototype. Mais, ne croyez
à une imitation inférieure, Monsieur Laugée a autant de talent que Monsieur Breton ; il dessine même mieux, grâce aux études qu’il
a faites pour l’histoire. – Seulement il a été
vivement frappé, et il reproduit, involontairement sans doute, l’objet
de son admiration. »
Dans l'Art de la rue et l'Art au Salon, E. de B. de Lepinois écrit : Louer M. Breton, élève de Drolling, ce n est pas blâmer M. Laugée, élève de Picot. Inspirés par le même ciel, par la même nature, par le même sentiment du vrai, ces deux artistes se sont rencontrés dans une similitude d'exécution d'autant plus heureuse qu'elle ne résulte pas d un procédé d'école mutuelle. Le déjeuner des cueilleuses d'œillettes est à coup sûr une très bonne page et dont j'ai signalé à l'avance toutes les qualités en parlant des peintures de M. Breton. Seulement je n'aperçois pas en quoi le déjeuner des cueilleuses d'œillettes diffère de celui des autres paysannes du canton, et quel intérêt puissant s attache à l'ordinaire du matin de ces pauvres femmes. Peut-être M. Laugée eût-il mieux fait de peindre ses Picardes en plein exercice de leurs fonctions de cueilleuses ; mais il ne faut pas chicaner un peintre sur les sujets de son choix.E. de B. de Lepinois - L'Art dans la Rue et l'Art au Salon. 1859, Paris.
Henry Fouquier dans Etudes artistiques, Lettres sur le Salon de 1859, commente ce tableau : Quand il a travaillé tout le matin, le paysan se repose quelques. heures sous le soleil de midi. M. Laugée a choisi ce moment. Les Cueilleuses d'œillettes picardes goûtent étendues. Qu'elles seraient belles si la fatigue et le travail ne les avaient brisées! On sent trop qu'à trente ans ce ne seront plus des femmes, mais bien de pauvres êtres sans sexe, aux mains rudes, au corps déformé.
Dans la Revue Germanique, Charles Dollfus présente la tableau ainsi : M. Laugée a montré une profonde intuition de la poésie des champs dans Le Goûter des cueilleuses d'œillettes, paysannes de Picardie. La campagne s'étend au loin en grandes lignes magistrales : c'est large et simple d'effet. Une femme, le dos tourné, arrange une gerbe; très-réussie par l'attitude et la couleur de ses vêtements, qui est d'un heureux effet pour réveiller le ton un peu froid de l'ensemble. Elle occupe le second plan. Au premier, deux paysannes assises; la plus jeune, vue de profil, porte lentement à la bouche, qui n'en veut guère, un morceau de pain noir. Son visage triste serre le cœur. Il y a là, tant nul doute, quelque peine secrète et résignée. On se rappelle involontairement, à son aspect, les vers du poète allemand : « Qui n'a mangé son pain avec des larmes, qui n'a passé ses nuits pleines de tristesse, assis sur son lit et pleurant, celui-là ne vous connaît pas, terribles puissances du sort! »