Le Siège de Saint-Quentin : Peinture
de Désiré François Laugée représentant
le siège de Saint Quentin en 1557. Toile
appartenant théoriquement aux collections du Musée
Lécuyer de Saint-Quentin.
Le tableau a disparu des collections du musée, durant les dernières guerres. L'oeuvre a été exposée au Salon des Artistes Vivants de 1852.
La trêve de 1556 venait d'être rompue; Philippe II lève une puissante armée dans les Pays-Bas; Marie, reine d’Angleterre, embrasse la cause de son époux et déclare la guerre à la France. Philibert de Savoie, prince de Piémont, est nommé généralissime des armées coalisées. La France était alors dans un dénuement complet. Henri Il fait un dernier appel à la noblesse et rassemble une armée d'environ dix mille hommes. Après plusieurs contre-marches, Philibert se présente devant Saint-Quentin; cette place était totalement dépourvue d’armes et de garnison. L'amiral de France, Gaspard de Coligny, traverse le camp ennemi et se jette dans Saint-Quentin à la tête de 450 hommes; aidé de Louis Varlet, seigneur de Gibercourt et mayeur de la ville, il dispose tout pour une vigoureuse résistance... Le siège est poussé avec acharnement; cent pièces d'artillerie tonnent nuit et jour contre la ville; nos murailles s'écroulent; onze brèches sont ouvertes et cent mille hommes vont forcer dans leurs derniers retranchements une poignée de braves qui sauront mourir.
Le 26 août 1557, la ville était prise; Philippe songeait à marcher sur Paris; mais le dévouement des Saint-Quentinois avait donné au duc de Guise le temps d'accourir d’Italie... et la France fut sauvée!
(Félix Davin, Préface du siège de Saint-Quentin, poème.).
Dans Le Guetteur de Saint-Quentin du dimanche 18 novembre 1855, un passage d'un article à propos de la médaille de Laugée reçue à l'Exposition Universelle de 1855 pour son tableau Eustache Le Sueur chez les Chartreux, se présente ainsi : "Le siège de Saint-Quentin, qui n'est guère connu ici que par la lithographie qu'en a faite le peintre [NDL : il s'agit de la lithographie présentée ici, le tableau ayant disparu], représente un assaut, une mêlée horrible qui ne rappelle et ne pouvait rappeler rien de la ville de Saint-Quentin, puisqu'on ignore encore où se livra l'assaut. Mais c'est un épisode de siège très-vrai, très-réel, qui appartient au XVI° siècle et qui peut, par conséquent, s'appliquer au siège de Saint-Quentin. L'un des mérites de cette œuvre, c'est la vie, c'est l'animation des acteurs de la scène ; les assiégés et les assiégeants que le pinceau a fixés sur la toile sont pourtant doués chacun d'un mouvement qui leur est propre et qui concourt harmonieusement à l'action générale. La presse a rendu justice à cette précieuse qualité, et plus d'un critique, Théophile Gautier en tête, ont témoigné hautement de leur sympathie pour cette hardie et heureuse tentative."
Dans le feuilleton de la Presse du 12 mai 1852, Théophile
Gautier commente comme suit ce tableau présenté
au Salon de 1852 : « L’auteur de Zurbaran dessinant le Christ, Mr Laugée, expose cette année une peinture d’un
style et d’une manière tout différente.
Son siège de Saint-Quentin est une œuvre remarquable et d’une grande vigueur que n’auraient pas fait soupçonner
la touche légère et le coloris argenté
de son premier tableau un peu imité de Dubleyras.
Le harnois militaire de cette époque (1556) se prête
mieux à la peinture que les uniformes actuels. Il y a des ressources pour l’art dans ces
morions, ces gorgerins, ces plastrons, ces cuirasses, ces pourpoints de buffle,
ces arquebuses, ces dagues, ces épées à coquille, ces
figures basanées et farouches empreintes de la physionomie violente du temps ; la stratégie moderne ne vient pas gêner de
ses lignes inflexibles la liberté du peintre, réduit
à n’être plus qu’un ingénieur et à
changer son tableau en plan à vol d’oiseau lorsqu’il
représente une bataille contemporaine.
Le Siège de Saint-Quentin rentre dans les possibilités
de la peinture. C’est une lutte acharnée entre
un petit nombre de combattants qui se tirent des coups d’arquebuses,
se pourfendent à coups d’estramaçons, se mutilent, se
daguent, luttent corps à corps, se renversent, se mordent et se déchiquètent
avec une furie et un acharnement incroyables, dans l’éboulement
de la brèche, sous la muraille éventrée dont les blocs
roulent pèle mêle parmi les cadavres qu’ils écrasent.
Ce torrent d’hommes et de pierres est rendu avec un ruissellement admirable
; on dirait une cascade de carnage dont chaque flot hurle et tue ; par la
disposition même du sujet, l’action commence au haut de la toile et les groupes s’étagent pittoresquement en présentant
des lignes variées et rompues ; plusieurs ne seraient pas déplacés,
pour leur furie de mouvement et leur force d’exécution, dans
la Grande Bataille de Salvator Rosa, ce poème de violence
et de fureur sauvage. Par malheur, l’enlacement des combattants est si inextricable que l’on
a de la peine à suivre le corps de chacun dans un fouillis fourmillant
de têtes, de bras et de membres crispés. Tout se retrouve pourtant
avec quelque attention, et l’écheveau de la mêlée
se débrouille. Le Siège de Saint-Quentin, qu’on
ne remarque pas assez peut-être et qui eût mérité,
selon nous, les honneurs du grand salon, place Monsieur Laugée à un rang très honorable parmi notre jeune école.
» Théophile Gautier.
Dans le Feuilleton du Journal le
Public du 23 mai 1852, Claude Vignon commente ainsi
ce tableau : « Nous avons un assez bon tableau de Monsieur Laugée, mais moins fort cependant que
sa Mort de Zurbaran. Le Siège de Saint-Quentin est d’une jolie couleur,
et montre quelquefois des tons fins et riches. La composition est mouvementée et s’agence bien, quoiqu’elle soit peut-être
un peu confuse et manque de parti-pris ; mais la figure qui tombe sur le devant
du tableau est très bien composée et d’un
effet dramatique. » Claude Vignon.
Dans la Revue de Paris, Albert de la Fuzelières commente ce tableau à l’occasion du salon de 1852 : « Le Siège de Saint-Quentin, par Monsieur Laugée, annonce un talent plein de belles maturités
et de sérieuses observations. Les Espagnols escaladent les avant-postes que les Saint-Quentinois défendent
comme il convient à de rudes compagnons. C’est une grappe d’hommes
suspendue au-dessus d’un abîme, sans mouvements outrés,
sans gestes forcés, naturellement, ainsi que cela a dû se passer.
Un Espagnol, abattu par une arquebuse, tombe en entraînant
une pierre détachée sous son effort, donne à Monsieur Laugée l’occasion d’un tour de force de
dessin parfaitement réussi. L’homme qui sort de la porte et passe
son bras par dessus un combattant pour tirer un coup de pistolet aux assaillants
est aussi d’une vérité extrême ; mais pourquoi avoir
mis là une femme qui porte un étendard ? Cela
sent la Jeanne Hachette ; c’est théâtral et de mauvais effet. » Albert de la Fuzelières.
Dans l’Eclair du 23 avril 1852, Edmond et Jules de Goncerat, commentent ce tableau : « Une furieuse dégringolade, un chaos d’armes, de blessés,
de soldats, de reîtres, qui glisse, qui se cramponne, qui perd pied,
qui croule ; tout en bas, contre le cadre, un homme, qu’on voit de dos,
en jaune, le justaucorps déchiré, lancé dans le vide,
qui empoigne une pierre, s’y retourne les ongles, et tombe ; au-dessus
de lui, un autre, renversé sur le coude, brandissant un tronçon
d’épée, ajusté et de près, et qui va le
rejoindre, et la mêlée, et les arquebusades, et les hommes et
les hallebardes, et la muraille qui s’effondre, et les poitrines qui
saignent ! – Tous les personnages de Monsieur Laugée sont d’un superbe lancé. Il a précipité son avalanche
avec une grande fougue ; tout le monde reconnaît l’entraîné
et l’emporté de son culbutis. En dehors des qualités d’agencement,
Monsieur Laugée peut revendiquer des qualités
de coloriste, et du meilleur coloriste.
Sa toile a une fleur, un agrément de tons délicieux. Le gris, le jaune-soufre, le bleu tendre, le rouge carmin
qui dominent, se marient harmonieusement par tout le tableau lumineusement égayé. » Edmond et Jules
de Goncourt..
Dans le Moniteur Universel, Alphonse Grün commente ce tableau : "M. Laugée n'est pas froid; il pèche plutôt par un excès de chaleur, par une espèce de fougue de jeunesse que n'accompagne pas encore l'expérience. Il a fait abus des attitudes violentes concentrées dans un petit espace; ses raccourcis sont cherchés, mais pas toujours réussis; ses personnages se présentent superposés les uns aux autres d'une manière pénible. Quelques parties d'un dessin ferme et un bon coloris général excusent à peine la faiblesse de la composition. Il semble que M. Laugée ait voulu s'accuser lui-même par le rapprochement de sa notice et de son tableau; il raconte le siège héroïque de Saint-Quentin, où une poignée de braves, commandés par Coligny, ont arrêté une armée portée jusqu'à cent mille combattants, et il peint une sortie de quelques assiégés repoussant une attaque de quelques assaillants. Quelle disproportion entre le but et le résultat!" Alphonse Grün, Rédacteur en Chef.