La mort de Zurbaran : Peinture de Désiré
François Laugée. Huile sur toile.
1850. Troisième médaille au Salon.
Une copie de ce tableau a été
retrouvé en 2008 par le Ministère de la Culture
lors d’une vente à Chatou.
Après le décès de l’auteur, sa
fille Jeanne
Fontaine-Laugée et son Gendre Hector
Fontaine vendirent l’œuvre au gouvernement
qui en fit don à la ville de Saint-Quentin pour son
Musée Antoine Lécuyer. Cette œuvre
a disparue du musée. Ce tableau retrouvé
à Chatou, signé en bas à
droite « Laugée » est, après expertise,
une copie du tableau du Maître
Laugée.
En 1840, à l’âge de 17 ans, il écrivit un poème
sur la mort de Zurbaran. Dix ans après il réalisait
son rêve : peindre la mort de Zurbaran.
Ce tableau a été exposé aux Salons des Artistes Vivants de 1850 et de 1851, où il a obtenu une médaille de troisième classe, dans le genre historique.
FEUILLETON DE LA PATRIE, 22 février 1851. Commentaire
de Monsieur J.J. Arnoux : « Mais puisque nous voilà
en Espagne, restons-y instant encore, en compagnie de Monsieur
Désiré Laugée. Cet artiste
nous donne « La mort de Zurbaran ». « Le
mourant, dit-on, se releva sur sa couche et prit un charbon
dans l’encensoir d’un enfant de chœur,
venu pour aider aux cérémonies de l’Extrême
Onction ; avec cette braise, il traça d’une main ferme,
sur la muraille, une tête de christ d’une expression
sublime. Epuisé par cet effort, il retomba sur sa couche et mourut.
– Oh ! Le pauvre homme ! s’écria le prêtre,
qu’il est à plaindre ! – A plaindre ! dit l’enfant
de chœur, à plaindre, quand il laisse un nom
immortel ! » Cet enfant était Bartolomé Esteban
Murillo. Si l’histoire n’est pas vraie,
elle est, on en conviendra, bien trouvée. Elle appartient d’ailleurs
de plein droit aux peintres de toutes les écoles,
et Monsieur D. Laugée a eu la main heureuse dans le
choix qu’il en a fait. Mais ce serait là peu de chose, car nous
voyons tous les jours de mauvais peintres gâter de
forts beaux sujets. M. D. Laugée a
mieux fait que de bien choisir, il a habilement exécuté.
»
EXTRAIT D’UN COMMENTAIRE DE GABRIEL DE HURY lors
du Salon de 1851 : « ….de bonnes qualités
de composition et de couleur rendent recommandable
à plus d’un titre le tableau de Monsieur Désiré
Laugée : « La mort de Zurbaran ».
Les biographes s’accordent à placer en 1662
la mort du peintre surnommé le Caravage
espagnole, mais sans préciser l’endroit où
il mourut. …c’est à l’hôpital
qu’a dû mourir Zurbaran. Le peintre
a choisi le moment où l’artiste espagnole
trace d’une main défaillante une dernière esquisse sur
le mur de sa chambre. Cet homme, à l’aspect maladif, à
la figure hâve et plombée et à la tête enveloppée
d’un mouchoir blanc, est bien quelqu’un des compagnons de chambre
de Zurbaran, à qui un prêtre
fait apporter le Saint-Viatique. Un autre spectateur qu’on
aperçoit dans le clair-obscur, au pied du lit du mourant,
et dont mes souvenirs ne me précisent pas la qualité, s’arrête
saisi d’admiration et d’étonnement, à la vue de
l’œuvre suprême du peintre
espagnol. Y compris le moribond, cinq personnages occupent
la scène, où chacun d’eux est convenablement placé,
et dont l’ordonnance et la couleur ont un aspect de
simplicité funèbre et de vigueur qu’il faut louer. Le
tableau a d’autant plus de profondeur
que les figures peintes dans la demi- teinte
du fond ne laissent échapper aucun détail de dessin
et d’expression, et, à mon avis, c’est
dans ce clair-obscur que se trouve l’intérêt
principal. La figure du peintre mourant,
péniblement appuyé sur son oreiller dans une position
où un peintre bien portant aurait toutes les peines
du monde à conduire son pinceau, sa main décharnée
comme celle d’un squelette, étalée sur
la toile blanche, sont repoussantes à l’œil.
Ce gris de plomb n’est pas même celui des chairs
sous les quelles le sang a cessé de circuler depuis quelques heures,
car elles conservent après la mort une espèce de transparence
livide, et à plus forte raison chez l’homme
encore vivant.
Monsieur Laugée paraît nourri de l’étude
de Lesueur, et le tableau de Zurbaran
rappelle cette sombre page de la vie de Saint Bruno, où
le pêcheur entr’ouvre son suaire
pour s’écrier : « Justo Dei justicio condemnatus sum. »
Ce pêcheur à qui les remords de sa conscience
arrachent ce cri déchirant est hideux lui-aussi ; mais son effrayante
agonie contient au moins une terrible leçon, et si les chairs ont ce
même gris de momie, on doit supposer que, dans une peinture
âgée déjà de deux cents ans au moins, la couleur
des blancs de plomb ou d’argent a
pu pousser au noir. Il n’en est pas de même dans
un tableau fait d’hier, et il m’eût semblé
préférable de jeter sur le dernier trait de la vie de Zurbaran
plus de mélancolie et de moins s’inspirer des noires traditions
de l’école espagnole. Je crois faire un grand
éloge à Monsieur D. Laugée
en disant que son tableau rappelle aussi ceux de Lesueur
; l’entente du clair-obscur y domine, les draperies
sont moelleuses, les accessoires vigoureux, et la couleur
est harmonieuse et transparente. »
LE FEUILLETON DE LA PRESSE, 15 mars 1851, sous la plume
de THEOPHILE GAUTIER :
« La mort de Zurbarn de Monsieur D. Laugée,
plein de mérite d’ailleurs, offre un singulier contraste entre
le sujet et la manière dont il est traité ; on dirait un Subleyras
ou un Coypel à la façon dont les linges et
les draperies sont chiffonnés. – Vous connaissez
Zurbaran, ce peintre austère de la
vie monacale dans le pays le plus catholique
du monde ; Zurbaran, ce Lesueur espagnol,
morne, ascétique, cadavéreux, qui engloutit sous le capuchon
des têtes hâves, malades, plombées d’extase que,
sans leur œil tourné vers le ciel et leur bouche livide entr’ouverte
par la prière, on prendrait pour des morts debout dans leur linceul
; ce farouche tortionnaire des martyres des Indes, qui hache, brûle,
tenaille, décapite, roue, écartèle, crucifie, et d’un
pinceau sanglant dévide les entrailles des victimes
; cet artiste funèbre qui semble n’avoir eu
besoin, pour toute son œuvre que de deux teintes, le
blanc pâle du suaire et l’ombre froide du tombeau.
Sa mort ne fut pas moins catholique que sa vie. Dans les
dernières convulsions de son agonie, lorsque les prêtres
venaient oindre ses pieds déjà glacés pour le voyage
éternel, il se souleva sur sa couche et d’une main défaillante
traça au charbon, sur le mur, une tête de Christ,
voulant servir jusqu’au bout par son art l’objet
de sa foi et de ses adorations. Le petit Murillo
qui assistait à cette scène en qualité
d’enfant de chœur portant le bénitier et
le goupillon, fut beaucoup moins frappé de la mort du peintre
que de la beauté de son dessin.
Monsieur D. Laugée n’a pas cru devoir emprunter
à Zurbaran ses couleurs pour le peindre,
et son tableau ne rappelle en rien l’école
espagnole, mais bien l’école française
du dernier siècle. Les drapés du lit, les linges, les surplis,
les têtes les mains sont d’une façon libre, spirituelle
et un peu surannée qui donne un caractère tout particulier à
la peinture de Monsieur Laugée. Sa
Mort de Zurbaran ne manque cependant pas d’onction
comme on pourrait le croire d’après ce que nous venons de dire.
On respire une certaine tendresse à travers cette légèreté
; la tête du Murillo, vue de profil perdu, est charmante.
Nous ne nous rappelons pas avoir vu d’autres toiles
de Monsieur Laugée. Si c’est un début,
il fait d’heureuses promesses. » Théophile Gautier.
E.J. Delécluze dans le Feuilleton du Journal des Débats du 29 janvier 1851 : Deux artistes, MM Laugée et A. Bourdier ont traité le même sujet, La Mort du peintre Zurbaran, qui près de mourir, prit, dit-on, un charbon dans l'encensoir de l'enfant de chœur assistant le prêtre venu pour lui donner l'extrême-onction, et fit un dessin sur la muraille. Je ne sais d'où est tirée cette anecdote, dont Bermudes ne dit pas un mot dans son Dictionnaire des Peintres Espagnols; mais, quoi qu'il en puisse être de la vérité de ce fait, il a fourni à M. Laugée, l'occasion de faire un tableau composé et peint avec grâce et facilité. L'ouvrage de M. A. Bourdier, moins complet que celui de son rival, ne laisse pas cependant que de renfermer des qualités pittoresques estimables. Quant à la recommandation que je crois devoir faire aux deux peintres de la mort de Zurbaran, c'est de contenir leur admiration pour cet artiste espagnol, et de la reporter, au moins pour varier leurs études et renouveler leurs idées, sur des maîtres d'un ordre plus élevé.
A. De la Fizelière dans le Feuilleton du Siècle du 22 avril 1851 (Revue du Salon des Beaux-Arts) : Une œuvre analogue à celles dont nous venons de parler, et non moins recommandable, c'est La Mort de Zurbaran, de M. Laugée Elle est composée avec un goût remarquable et peinte de main de maître. On y remarque des parties d'une indication ferme et savante et une harmonie douce qui charme, malgré une tendance assez marquée à l'uniformité.