Souvenir à Joachim Malézieux : Poème
de Désiré François Laugée à
son beau-frère Joachim
Malézieux.
III Bis
A Joachim Malézieux
Souvenir.
Parmi les souvenirs que je tiens du passé
Celui-là, Joachim, ne s’est pas effacé :
Dans ma simplicité, je mets certaine gloire
A conserver du cœur la rêveuse mémoire,
Et je trouve si doux de m’y laisser bercer
Quand me ressouvenant, je crois recommencer.
Il t’en souvient ! – C’est comme un reflet de l’enfance
Qui m’apparaît de loin tout brillant d’innocence ;
Nous n’avions pas quinze ans – je n’ai pas oublié
Que ce court moment-là serra notre amitié.
Par un jour de vacances, où l’écolier s’évade,
Nous avions à Rocourt poussé la promenade,
Aspirant tous les deux d’arriver au moulin
Pour calmer la chaleur de juillet par un bain.
Plus dispos et remplis de fraîcheur salutaire
Nous remontions gaiement le cours de la rivière,
Entre les saules creux et les hauts peupliers
Qui répandaient leur ombre au milieu des sentiers ;
Oubliant, ce jour-là, le chemin d’habitude,
Nous avions préféré l’air de la solitude ; -
Le ciel était si pur, à travers le marais
Venaient des chants d’oiseaux avec un vent si frais,
Le silence apportait à notre oreille éprise
Le soupir de nos bois dérobé par la brise,
Et le soleil versait avec sérénité
Dans l’âme et sur les fleurs tant de limpidité,
Que je voudrais savoir, tant cette image est vive,
Mêler de son parfum à ma chanson naïve.
Qu’importe – Si tu veux me prendre par la main,
Dans nos frais souvenirs retrouvons ce chemin
Perdu sous la feuillée et qui suivait la pente
D’une onde où se mirait la digue qui serpente, -
Tandis que le moulin qu’on entend bientôt plus
Endort dans le lointain son refrain plus confus. –
Allons ! Il fait si beau ! – la pelouse est fleurie, -
Sous ces ombrages verts faits pour la rêverie,
On sent comme un écho de la longue chanson
Qui descend de la nue et monte du buisson.
Allons ! Gais promeneurs, écartons au passage
La branche embarrassée et qui fouette au visage.
Arrêtons un instant pour cueillir un rameau
Dont pan n’eût pas mieux fait un sonore pipeau.
Puis regardons courir sur l’onde murmurante
La demoiselle bleue à l’aile transparente, -
Le ruisseau qui s’écoule avec un doux frisson
Se ridant à travers glaïeuls et vert cresson, -
Et la fleur si jolie à la coupe irisée
Où les beaux papillons vont boire la rosée. –
Vois, les canards lustrés faire mille plongeons
Et le martin-pêcheur voltiger sur les joncs ; -
L’épine au bord de l’eau, la haie où la fauvette
Croyait mettre à l’abri sa couvée inquiète.
Nous savions où trouver, ravisseurs écoliers,
Le nid mystérieux caché dans les halliers
Et faire avec les œufs des pinsons et des merles
Pour notre jeune sœur un beau collier de perles. –
Bientôt, quand nous aurons traversé le fossé
Tout deux, d’un pas tremblant sur l’arbre renversé,
Avant de regagner le chemin de la ville,
Arrêtons nous encor dans cet endroit tranquille,
Sur le coteau penché, plein de fleurs, où depuis
J’ai fait pour ma pensée un petit paradis. –
Il t’en souvient aussi, ta mémoire discrète
A gardé dans tes vers jusqu’au nom de l’Abbiette,
Ce hameau solitaire abritant son sommeil
Sous un dais de verdure où filtre le soleil.
Là, des vergers en fruits, une verte prairie,
Des herses sous les murs, voilà la métairie.
Rien ne trouble la paix de ce riant vallon.
Parfois un paysan sur son fort étalon
Ramène un chariot ployant sous une frange
De belles gerbes d’or qui vont remplir la grange,
Ou bien le pâtre brun qui poursuit en sifflant
Le soir, le pas tardif de son troupeau bêlant, -
Des enfants aux buissons disputant quelques mûres, -
Et les oiseaux peuplant les arbres de murmures ; -
Voilà tout. – Quelquefois l’invisible concert
Que le vent fait jouer dans le feuillage vert ;
Ou du clocher voisin la dévote cadence,
Voilà l’unique bruit qui trouble ce silence. –
Fraîche oasis ! – je rêve à tes bosquets absents
Comme nous y rêvions quand nous avions quinze ans, -
Quand le cœur tout rempli d’une chanson divine
Un jour nous lisions là Gessner et Lamartine,
Qui faisaient rayonner notre front ingénu ;
Ce jour-là, tu le vois, je m’en suis souvenu. –
Paris février 1845
Désiré François Laugée.