Promenade dans le Vermandois Joachim Jules Charles Malézieux architecte peintres et sculpteurs
Promenade dans le Vermandois : monographie
écrite par Joachim Jules Charles Malézieux. L'auteur
nous livres des renseignements historiques sur la région de
nauroy et de ses environs, en prenant le pretexte d'une promenade.
Cette nouvelle est un invitation à visiter les lieux à pied.
PROMENADE DANS LE VERMANDOIS d’après Joachim Malézieux,
fils.
Par un matin de beau temps, à la première fanfare du coq, quand les vapeurs
de la nuit commencent à se dissiper sous les rayons du soleil levant, vous bouclez
vos guêtres, et, le carnet en poche, le bâton à la main, respirant à longs traits
l’air que n’a pas vicié le fumée de la ville, vous cheminez pédestrement dans
le premier sentier où le hasard vous mène. Il se peut que ce sentier s’appelle,
par exemple, le chemin des bannis. Si vous vous engagez dans ses ornières, et
si vous prenez le premier chemin qui le prolonge, à gauche, vous arriverez,
non sans fatigue, au hameau de Thorigny.
Mais d’abord, vous vous êtes demandé ce que veut dire ce nom : chemin des bannis.
Le nom n’est pas gai, et le chemin non plus. C’est par là que s’en allaient
autrefois les criminels que la justice de nos pères avait condamnés à sortir
de Saint-Quentin pour n’y plus jamais rentrer : au bannissement. Là ont passé
bien des pauvres diables que des jugements parfois sévères forçaient à s’expatrier.
M.Ch.Gomart a publié la liste d’un certain nombre de ces bannis, parmi lesquels
nous remarquons un Jehan Taverniers, de Thorigny « bannis à toujours hors de
la vile et de la banlieue, pour Raoulin le Nain de Noueroi, cui il feri d’un
coutel dessous lespaulle derrière dont chius Raoulin mourut. Ce fut fait en
l’an de l’Incarnation MIL CC et LXXVIJ en moi de novembre. »
Le hameau de Thorigny que vous rencontrez bientôt, fut autrefois, paraît-il,
une commune assez importante, ayant sa chapelle et sa paroisse jusqu’au XVIème
siècle, époque à laquelle Lehautcourt, jusque là dépendance de Thorigny, devint
la mère commune. Thorigny ne présente plus d’intérêt, aucun vestige ancien ne
frappe le regard ; un calme constant règne dans l’unique rue où le voyageur
paraît être considéré comme un phénomène.
De Thorigny à Lehautcourt, il n’y a qu’un coteau à descendre. On traverse, avant
d’entrer dans le village le canal de Saint-Quentin, dont la tranchée à ciel
ouvert surélevée encore p?dar les cavaliers boisés, présente un aspect plein
de grandeur et de mélancolie.
Mais, voici Lehautcourt. C’est un village très pauvre, qu’aucune route ne traverse.
Il y a, auprès d’un abreuvoir, sur une espèce de place publique, un énorme tilleul
qu’on affirme être un arbre de la liberté ; mais il est certain que son age
a du lui permettre d’assister, déjà vieux, à la grande épopée de la révolution.
Peut-être est-ce un de ces jalons plantés par Cassini pour sa carte de France.
Peut-être est-ce tout uniquement un arbre que l’indifférence ou l’absence de
propriétaire a respecté.
Non loin de cet arbre s’élève la modeste église du village. Le portail qui ne
manque pas d’un certain caractère est surmonté de deux arcades à jour qui devaient
contenir autrefois de petites cloches carillonnant à l’air libre. A présent,
les cloches sont dans les combles de l’église. Le portail a du être construit
au XVIème siècle. Le mur de la nef au nord contient des arcades ménagées de
façon à permettre un agrandissement devenu maintenant problématique.
Sous les maisons du village, il existe une quantité de petits souterrains s’entrecroisant
et aboutissant à des salles assez spacieuses. Ce sont des caves de guerre, que
justifie très bien la proximité de l’ancien château-fort du Tronquoi, lequel
fut souvent et bien ravagé. Les habitants du pays nomment ces souterrains :
les muches, mot essentiellement picard qui veut dire : cachettes.
Un chemin creux qui passe derrière les dernières maisons du village conduit
à Magny la Fosse, village aussi peu important et qui doit son surnom à sa situation
au fond d’une vallée en forme d’entonnoir. Avant de descendre au village, on
trouve à sa droite un délicieux petit bois pittoresquement accroché au revers
du coteau. Il existe dans ce bois un hêtre de dimensions considérables. Il mesure
environ 4 mètres de circonférence à la base.
Un ancien rendez-vous de chasse, ou salle de verdure, situé au milieu du bois,
et auquel on arrive par un petit chemin très raide, est appelé dans le pays
la bouteil?dle. Aucun surnom n’est mieux justifié.
Il y a à Magny-la-Fosse un groupe de vieilles maisons actuellement à usage de
ferme, qu’on décore du titre pompeux de château. En effet, ce logis fut la demeure
des seigneurs du pays et il a conservé encore intérieurement quelques vestiges
d’un vaste campagnard aujourd’hui suranné.
Près du château est église, qui fut autrefois probablement intéressante, à en
juger par les quelques fragments de profils que conservent les contreforts ;
mais le goût des belles choses ayant fait des progrès dans notre siècle, on
a jugé convenable, il y a quinze ou vingt ans, de la doter d’un pignon d’entrée
superbement traité en briques, avec des petites saillies, de petits bandeaux,
des chapiteaux, des pilastres, des ornements, le tout aussi en briques pour
le plus grand bien de l’architecture.
De Magny, il nous faut reprendre notre course à travers champs, dans un chemin
qui ressemble beaucoup, vu sa largeur, à ce que les paysans appellent voyette
ou pièce-entre.
Ce chemin, après nous avoir fait faire l’ascension et la descente du Blanc-Mont
(c’est le nom donné à une colline marneuse) nous conduit enfin à Etricourt,
avant dernière étape de votre voyage.
Etricourt ! quel charmant paysage pour un peintre. Ce n’est pas que ce modeste
hameau présente le pittoresque et l’inattendu qui séduisent et émerveillent
les yeux ; mais, sous une touffe de grands arbres, c’est une mare dormante où
naviguent majestueusement les canards et les oies ; c’est sous une ombre tranquille,
le toit de chaume des maisonnettes et des granges ; c’est un ensemble plein
de calme et de fraîcheur, des buissons veloutés, de l’herbe verte et haute.
Etricourt, comme Thorigny, ne fut pas toujours un hameau réduit à l’état de
lieudit ou de dépendance. C’était autrefois un chef lieu de paroisse et de seigneurie,
et Nauroy, qui est aujourd’hui et depuis longtemps un gros village, n’était
qu’une dépendance d’Etricourt. Il est vrai que ce hameau possédait alors une
abbaye dont les derniers vestiges ont disparu, à l’exception de ?dcaves anciennes
qui subsistent encore.
Autrefois, les morts de Nauroy étaient enterrés à Etricourt, et du souvenir
des funèbres cortèges qui y passèrent si longtemps, le chemin que vous allez
prendre pour gagner votre dernière étape a gardé le nom de chemin des morts.
Voici le Calvaire, à l’angle de cette vieille chaussée romaine que Brunehaut
a réparée ne lui laissant son nom. Enfin, voici Nauroy.
Nauroy est placé à une altitude assez élevée et occupe le sommet d’un coteau.
Ce doit être un village très ancien, et probablement une station romaine.
En effet, à différentes époques, des fouilles, accidentelles, ou faites à dessein,
ont amené la découverte de corps placés régulièrement et munis de la poterie
traditionnelle. L’un d’eux avait une épée. On a trouvé également des cercueils
en pierre ; mais nous avons le regret d’annoncer que plusieurs de ces cercueils,
après avoir servi pendant quelque temps d’auges à pourceaux, servent actuellement
de caniveaux pour l’écoulement des eaux. De nombreuses pièces de monnaie en
bronze, la plupart très frustres et surtout de petit module ont été mises à
jour.
Lors de la construction de la fabrique de sucre, on découvrit un ancien puit
sur le bord de la chaussée Brunehaut. Ce puit est de construction romaine. On
découvrit aussi, parait-il, un objet excessivement rare et curieux : une cloche
carrée, munie de son battant. Malheureusement, le peu de valeur d’une pareille
trouvaille fit qu’on la rejeta dans les tranchées de fondation, où elle se trouve
encore, probablement.
Un squelette, littéralement environné de poteries disposées en cercle autour
de lui, fut aussi mis à jour. Les poteries ont été brisées, et cela se comprend,
vu le prix réellement modique de nos poteries modernes.
Ces différentes découvertes suffisent néanmoins à établir de façon à peu près
certaine, l’existence de Nauroy comme station romaine. Il ne paraît pas cependant,
qu’il ait été élevé de retranchements en terre.
Quoi qu’il en soit, il est fait mention de Nauroy dans la relation du martyre
de Sain?dt-Quentin.
Nauroy, ou Nouroi, ou Noroi, ou Norroi, ou Nauroir, ou Noroir, ou Nouroe, ou
Nouerroi, ou…. (Il y en a encore beaucoup, dont nous vous faisons grâce)
Nauroy donc, est un village possédant actuellement 1300 habitants. Il possède
une église sous le patronage de Saint-Léger, dont la tour, du XV°, a été tronquée
et surmontée d’une flèche en ardoises. La nef et les bas-cotés sont modernes.
Mais ce que nous n’avons pas raconté, c’est la légende du pays, laquelle eut
pour cause un puit, suivant les uns, l’église suivant les autres. Nous voulons
parler de la « corde ed leune », fameuse entre toutes celles de son espèce.
Voici comment la chose se raconte, abstraction faite de la tournure narquoise
que donnent l’accent et le dialecte picards, tous deux intraduisibles en français.
Donc, à une époque que les historiens locaux ne précisent pas, il y avait un
puit, suivant les uns, l’église suivant les autres, qui n’était pas à une place
au goût de la majorité des habitants. On réfléchit, on s’assembla, on rumina
cent projets, afin d’arriver à changer de place, par les moyens, les plus économiques,
le puit, suivant les uns, l’église, suivant les autres.
Après bien des débats et des controverses, un plus avisé proposa de confectionner
immédiatement une bonne et solide corde en laine que l’on attacherait au puit
(ou à l’église), puis tous les valides de l’endroit se mettraient à tirer à
qui mieux mieux afin d’amener l’objet à déplacer à l’endroit désigné.
En vérité, les historiens qui racontent de pareilles choses font bon marché
de l’intelligence de nos bons aïeux ! Toujours est-il que la légende affirme
que la corde fut attachée ; que les poignets solides, se mirent à tirer dessus…oh
! hisse ! oh ! hisse !…que la corde s’allongea, s’allongea, si bien que mes
gaillards se disaient : elle ( ou il ) marche !….La légende ajoute encore que
la corde s’allongea tant, qu’elle cassa, et que les ingénieux inventeurs de
ce nouvel engin de locomotion tombèrent comme un château de cartes.
La chose se raconte encore à Nau?droy ; seulement les habitants, lorsqu’on leur
demande des nouvelles de la « corde ed leune ! » vous répondent finement qu’il
l’ont « reveindu à ces geins d’Bony ».
Il y a à Nauroy un temple protestant construit en briques et pierres il y a
cinq ou six ans. La population comprend environ un tiers de protestants.
Près de l’église, se trouve ce qu’on appelle : le château, sur le cadastre.
Le susdit château n’existe plus. Il fut longtemps la propriété de M.Laurent
de Champrosay, lequel durant la révolution s’appelait le citoyen Laurent, maire
de la commune.
Avant lui, la seigneurie de Nauroy appartenait à Mademoiselle Louise Antoinette
de Monchy d’Hocquincourt, descendante du fameux maréchal d’Hocquincourt, laquelle
laissa à son héritier présomptif, le chevalier Du Tertre de Nielles une succession
telle, que celui-ci s’empressa d’y renoncer par acte devant notaire, la dite
succession lui étant plus onéreuse qu’utile.
Sous une partie de Nauroy passe le canal souterrain, creusé par Laurent et qui
fut abandonné lorsqu’on se décida enfin pour le projet de l’ingénieur de Vicq.
Lors de la construction de fabrique de sucre, la difficulté d’obtenir de l’eau
engagea à faire des recherches pour alimenter d’une façon certaine cette importante
usine. On découvrit un ancien puit communiquant avec le souterrain. Après avoir
exploré la galerie, on constata que l’eau s’y renouvelait constamment par des
sources, et que cette eau était très limpide. Une machine a été installée pour
alimenter la fabrique à l’aide de ce réservoir.
Il y a à Nauroy un autre château qui subsiste encore, quoique délabré et inhabité.
C’est une petite maison autrefois habitée par M.Gayant, ingénieur des Ponts
et Chaussées, chargé de la direction des travaux du canal souterrain. Le parc
est plein de beaux arbres et ne manque pas de caractère.
Les puits de Nauroy, suivant un type répandu dans le pays, étaient protégés
extérieurement par de grandes dalles posées de champ et recevant une toiture
composée de deux dalles inclinées en forme de comble. La seil?dle était montée
à l’aide d’un treuil, d’une profondeur de près de cinquante mètres. Aussi, on
ne se procurait de l’eau qu’au prix d’une fatigue assez grande. Grâce à l’initiative
et à la générosité de M.Couturier, le peintre auquel on doit tant de si gracieux
poèmes de basse-cour, cet état de chose vient de disparaître. Un système de
pignons et d’engrenages a été installé de façon à ce qu’un enfant puisse faire
seul ce que deux hommes pouvaient à peine effectuer auparavant.
Il y a encore des picards à Nauroy, parlant picard, comme si la race et la langue
ne devaient pas disparaître par le contact des villes.
Voici quelques noms de Seigneurs de Nauroy d’après M.Melleville :
1173 Pierre de Nouroy
1179 Anselme de Nouroy. Liciarde, sa sœur.
1190 René de Nouroy
1218 Simon de Nouroy chevalier
1222 Manassés de Nouroy ; femme Elvide
1227 Guy, leur fils, seigneur de Nauroy et Beauvoir ;
femme Gode ; enfants : Manassés, Jacques ou Jacob.
Puis Michel de la Pasture, seigneur de Nauroy
En dernier lieu, la terre de Nauroy appartenait à la famille
de Monchy et non de Mouchy comme le dit M.Melleville.
L’érection de la commune en paroisse date de 1420.
Les registres de l’état-civil font mention d’un divorce à la date du 23ème jour
de Thermidor an X, et d’une adoption.
Un curé de Nauroy, Antoine Bongendre, qui exerça son ministère de 1693 à 1735,
mourut subitement, le 20 juillet 1735, après avoir langui quatre mois, et fut
enterré dans le chœur de l’église. En 1743, le 9 octobre, on inhuma également
dans l’église, au abs de la nef près des fonts baptismaux le corps de Marguerite
Boitel, épouse de François Lhomond, laboureur.
Ce sont les seules inhumations faites dans l’église dont il soit fait mention.
La population est composée en grande partie de tisserand, occupés à fabriquer
les articles brochés dits articles de Saint-Quentin.
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