Ma Bretagne : poème réalisé en août
2006 par Jérémie Pierre Jouan, lors de vacances
passées en Bretagne, en compagnie de Cécil
Graf, professeur. Les strophes suivent le périple
mené avec plus où moins de régularité. Ce poème,
en alexandrin, est composé de 30 strophes de 4 vers de 12 pieds.
Ma Bretagne
Ma Bretagne est une île au bout de l’océan
Dont l’âge se défile aux humaines mesures
Marinant les humeurs de parfums aux accents
Jaunies par les ajoncs, elle est ma démesure
En son Sein sont mes songes servant ma cécité
Son séjour inspiré suspend ma destiné
En rêveur de parloir, loin des atrocités
Terres inespérées d’histoires patinées
D’un battement liquide elle est illuminée
Comme le phare au large luttant sur l’élément
De révoltes sanglantes en combats dominés
Elle s’élève contre les règlements
Son horizon changeant de montagnes gazeuses
Teinte d’iode sa lande aux couleurs chatoyantes
Comme un film projeté, défile paresseuse
Une image mouvante aux lueurs verdoyantes
Les clochers ciselés en granit de Bretagne
Comme les saints patrons surveillent le troupeau
S’élançant dans les airs, dominant la campagne
Assurant aux bretons un éternel repos
Dans leurs champs bocageux de talus encerclés
S’agitent les fougères bruissant au moindre vent
Les rousseurs de l’été par le soleil cerclées
En une danse Fisel, tournoient, se soulevant
Notre Dame de Joie devant qui chaque jour
Se prosterne, vaincue, la chevauchée limpide
S’avance dans les flots, met le flux à rebours
Séjournant à l’orée de terres intrépides
La concorde intimée par son faisceau nocturne
Eckmühl souligne, amer, la douce déraison
De ces terres austères, réveillées par les urnes
Narguant toujours la mer, ligne de flottaison
Clochers découronnés du Pays Bigouden
Les menhirs alignés d’un Carnac ancestral
Chapelle et châteaux d’un duché de gredins
En ces murs enchâssés vivait aussi mon graal
Parcourant ces chemins aux voûtes végétales
Sur ces dunes sableuses aux genêts s’accrochant
Mon esprit vagabonde devant la mer étale
Bercé par le reflux du rivage approchant
De Penmarc’h à Tudy la province s’enchante
Les embruns ahuris des mois noirs de l’hiver
Sont ici démunis lorsque la clarté chante
Que les yeux éblouis se sentent découverts
Dans les bois de Saint-Dec aux rochers de l’Odet
Je me vis au passé du bonheur de nature
Puisant ma solitude de contacts érodés
Ma seconde naissance que la vie dénature
Je suis né à Paris un jour de février
Bercé par les signaux d’un chenal tout tracé
Ondulant aux marées en suivant le premier
Je laissais le hasard défricher mon passé
Découvrant la Bretagne au détour de la vie
D’un survol trop rapide je témoignais l’envie
D’y voir mes racines, l’ascendant qui revit
D’y chanter mon futur, mon destin assouvit
En renaissant ainsi de mes songes profonds
J’admirai devant moi l’archipel des Glénan
Se prélassant lascif aux vagues sans tréfonds
Dominant l’étendue d’un silence gênant
Devant se découpaient ses sommets sans récifs
Leurs formes naïves sur les flots s’affaissant
Culminant à fleur d’eau sans nul fort agressif
Qui a marée basse semblait moutons paissant
Chaque soir j’assistai au coucher du soleil
Poursuivant sa route d’ivresse rougeoyant
Riaient les mouettes sifflant l’azur vermeil
Les pins maritimes devenaient larmoyants
Idir était venu nous chanter son pays
L’anse de Bénodet rayonnait de touristes
Que de beaux paysages passaient mon abbaye !
Abruti d’extase je me contemplais triste
Revenant sur mes pas j’atteignais Quiberon
Passant par Quimperlé voir Yann-Fanch pour une heure
J’emportais avec moi ma gourde biberon
D’un peu de lait ribot, des galettes au beurre
De ces alignements je gouttais les mystères
Que les temps révolus nous avaient conservé
En les interprétant par mes propres critères
En les réinventant pour mes sens préservés
Ce qui me fascinait dans ce pays breton
C’étaient son histoire, son charme résolu
Sa luminosité, l’espoir que nous prêtons
A ces peuples soumis aux états absolus
Un matin sous la pluie du Golf de Morbihan
Je visitais trempé quelques alignements
Dans une crêperie je me faisais client
Une blonde mousseuse m’attendait dignement
C’est à la mi-journée que la pluie s’arrêta
Aux menhirs d’Erdeven, pas très loin de Carnac
Les géants endormis oubliés en l’état
Reposant démunis dans leurs enclos en vrac
Quand au dessus de moi défilaient étranges
Des nuages bleutés aux formes si grotesques
L’un d’eux représentait Chirac fumant un ange
Un calumet de paix, abracadabrantesque
Mais à Plougoumelen dans la banlieue d’Auray
Naissaient les souvenirs des prochaines années
Au camping du village avec Cécil terré
Profitant de son temps, dormant comme un damné
Partant joyeux bronzer sur les plages d’ici
Avec pour compagnon mon ami de dix ans
Je rêvais aux chemins de belles prophéties
En longeant les polders des landes devisant
Un silence docile assommait cette plage
Suffoquant de chaleur ces corps suaient vapeur
Scintillant, le soleil traversait les nuages
Suppliant ces teintes, s’assombrissait l’humeur
Le beau temps s’éloignait des baigneurs de l’été
La côte s’encombrait de cent moutons célestes
Paissant les bancs de sable, disputant l’aparté
Aux chevaux de la mer, ces conquérants modestes
Les lignes épurées de ces jeunes bretonnes
Ravivaient les reflets de mes tendres années
Amarré au passé d’un amer qui entonne
Ce refrain lancinant des silences damnés
Ma jeunesse perdue, soudain, me revenait
Me traversant l’esprit en songes poétiques
Allumant ma vision la beauté devenait
Cet amour libéré de mon bonheur éthique
Jérémie Pierre JOUAN, Bretagne
– Août 2006.