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La question scène de l'inquisition à Arras : peinture de Désiré François Laugée (1881) d’après l’histoire des Ducs de Bourgogne
du Baron de Barante. Salon des Artistes Vivants de 1881. Ce tableau a obtnu la médaille d'or à l'Exposition Universelle d'Amsterdam de 1883. Tableau présenté à l'Exposition universelle Internationale de 1889 à Paris. Tableau acheté par l'Etat.
"A l'instigation de Pierre de Bressant, inquisiteur de la foi, il s'était passé à Arras les plus horribles iniquités. On avait brûlé les pieds de ceux qu'on avait torturés... On leur avait serré la tête ou les membres avec des cordes à nœuds... Enfin, rien de si horrible n'avait jamais été raconté." (De Barante - Histoire des Ducs de Bourgogne)
Peinture académique de Désiré François Laugée traitant de sujets religieux ou épiques. Le supplicié est en pleine lumière alors que les juges sont retirés dans l’ombre. C’est le supplicié
qui est le centre du tableau vers lequel le regard se dirige.
Le jeu d’ombre et de lumière peut aussi
faire comprendre que la vérité qu’incarne la lumière est
du côté du supplicié, l’ombre dans laquelle se retrouve les
juges évoquant ce qu’il y a de plus bas dans l’âme humaine. Qu’aurait dit
Karl Jung de ce tableau ?
Au premier plan, est étendu de profil, sur un lit de torture, les yeux bandés, les bras liés au chevet de bois, les pieds dans une entrave au-dessus d'un fourneau qui flambe, hurlant, se tordant, un homme nu, aux chairs ensanglantées. Derrière lui, à gauche, se tient debout, de face, un papier à la main, un dominicain qui l'interroge. Cinq autres dominicains, en robes blanches et capuchons noirs, sont assis, au fond, devant une table. Derrière eux la tapisserie montre le Christ en croix. Signé à droite: D. Langée, 1881. Georges Lafenestre - Exposition des Beaux-Arts, 1881. Exposition des Artistes Français Vivants.
Un commentaire anonyme précise : Les moines, l'Inquisition, l'église féodale, la torture ont rempli le Salon de 1881 de toiles à la Ribera que les amateurs ne mettront certainement pas dans leurs salles à manger, car cela ôterait l'appétit à Gargantua lui-même. Voulez-vous avoir des cauchemars enjolivés de hurlements, de hauts-le-coeur ? Allez voir La Question de M. Laugée, c'est à donner le choléra morbus. Un hérétique est étendu sur un lit de fer chauffé à blanc; les pieds du supplicié rôtissent à la flemme d'un brasier; vous jugez si le malheureux crie à pleins poumons et s'il demande grâce. Des cordes lui enserrent le ventre, la tête, les reins; elles laissent sur la chair des sillons sanglants. Il serait difficile de pousser l'horreur plus loin et, à notre avis, M. Laugée a atteint là les dernières limites de la férocité en art.
Dans le « Feuilleton du Siècle » sous
la signature de H. Havand (signature peu lisible) le commentaire
suivant est fait : « Monsieur Désiré Laugée
est un artiste de mérite et d’expérience,
car il eut, si j’ai bonne mémoire, sa première médaille
en 1851 et la croix (Légion d’Honneur)
en 1865. M. Désiré Laugée s’est
laissé èmouvoir par un passage de l’Histoire des
Ducs de Bourgogne où M. de Barante raconte
les horribles tortures auxquelles Pierre Le Bressant,
inquisiteur de la Foi, soumit quelques braves gens d’Arras,
que cet aimable dominicain suspectait d’hérésie.
Et là-dessus M. Laugée nous régale du
plus effroyable qu’on puisse imaginer.
Au premier plan, il place une sorte de gril d’invention
diabolique, sur lequel un malheureux, brisé, sanglant,
retenu par des cordes qui déchirent ses chairs, les pieds pris dans
un étau qui meurtrit ses chevilles, crie, pleure,
se tord et se débat, pendant que ses féroces bourreaux
fixent sur lui des regards chargés de menace et de
haine. Je ne sais point d’horreur pareille au supplice
de ce malheureux, dont le corps se convulsionne, dont les
pieds se crispent sous l’action du feu. Ne vous arrêtez pas devant
cette toile sensibles lectrices ; elle vous laisserait dans l’esprit
des germes de cauchemar, d’autant plus dangereux
qu’elle est, ma foi, fort bien peinte.
Je n’aime pas beaucoup, je l’avoue, les linges qui entourent les
reins du patient. Ils semblent en bois ou pétris en
mortier. En outre, si vraiment la chair brûle, les
linges devraient au moins fumer. Le groupe des juges ne me
plait pas non plus d’une façon absolue. Mais le corps du martyre,
mis en belle lumière, modelé de main de maître,
est capable de glacer le spectateur d’épouvante
et de troubler le sommeil le plus aguerri. Est-ce à dire qu’ainsi
restituée, la scène au moins soit vraie ? Assurément,
non. M. Laugée, pénétré de son
sujet, a donné à ses inquisiteurs
des airs méchants et féroces, alors qu’il
eut du leur donner des mines béates et presque souriantes. Pour de
pareils monstres, ces cris, ce sang, ces douleurs,
étaient un régal ; ces tortures, une distraction
; ces horreurs, un passe-temps. Sans remonter jusqu’au
XV° siècle et aux atrocités de l’Inquisition,
que M. Laugée relise seulement les plaideurs
de Racine. Il y verra qu’une pitié animait le
cœur des juges d’alors. Il y entendra Dandin
demander à sa bru : « N’avez-vous jamais vu donner la question
?
Venez, je vous en veux faire passer l’envie. »
Et comme Isabelle se récrie sur l’inconvenance
d’un tel spectacle, le vieux juge
lui répond :
« Bon, cela fait toujours passer une heure ou deux. »
Les farouches collaborateurs de Pierre Le Bressant
n’avaient point, j’imagine, le cœur plus tendre et la fibre
plus sensible, que le juge Dandin. »
Autre commentaire dans le Journal de Saint-Quentin du 20
mai 1881 : « Monsieur Laugée a exposé
un grand tableau (n°1333) qui porte comme titre la
Question et, comme légende, les lignes suivantes
de Monsieur de Barante : « A l’instigation de
Pierre de Bréssant, Inquisiteur de
la foi, il s’était passé à Arras
les plus horribles iniquités. On avait brûlé les pieds
de ceux qu’on avait torturés…On leur avait serré
la tête ou les membres avec des cordes à nœuds…Enfin
rien de si horrible n’avait jamais été raconté.
»
J’ajouterai que l’horreur de ces atrocités a passé
de l’âme de l’artiste sur sa toile
et que jamais scène terrible ne fut peinte avec une
plus effrayante et plus sauvage… banalité. Je vois encore ces
effets de flammes, ces pieds rouges et tuméfiés et cette expression
de douleur poignante, de souffrance affolée sur le visage du malheureux
supplicié. Et quelle sombre énergie dans la figure des moines
qui composent le tribunal et président à la
torture ! Au deuxième plan, le bourreau, accoudé sur le fauteuil,
dans une pose naïvement théâtrale, tient
l’œil fixé sur sa victime ; mais si l’on aperçoit
quelque lueur de pitié dans cet œil, on n’y voit point de
trace de remord. Au fond, se détachant sur une vieille tapisserie ou
sur une fresque, on entrevoit le Christ.
N’est-ce pas le cas de s’écrier avec le poète
: « Et le Christ était là, cloué
pour qu’il restât. » Enfin les moindres détails du
tableau sont frappants ; tous ont leur place et leur importance.
Ils s’empoignent d’ailleurs un certain public,
celui que laisse froid l’admirable Pauvre Pécheur
de Puvis de Chavannes.
Il me sera permis d’ajouter, et M. Laugée est
homme à me comprendre, qu’il eût été meilleur
pour lui de ne pas chercher un succès dans cette gamme
mélodramatique, où les plus fins talents
perdent quelque chose de leur grâce. On a été, louant
cette œuvre, qu’elle rendait un signalé
service « à la libre pensée ». J’aime mieux
croire que cela n’est qu’une simple naïveté, contre
laquelle proteste d’ailleurs l’œuvre toute
entière de M. Laugée à la basilique
de Saint-Quentin. »
A propos de ce dernier paragraphe : le critique fait allusion à la
grande fresque de la chapelle Saints
Pierre et Paul, dans la Basilique de Saint-Quentin,
récemment restaurée. Désiré François
Laugée a peint un grand nombre de sujets
de commandes religieux. Il n’en demeure pas moins qu’il
était libre penseur et de tendance plutôt Sociale
Démocrate pour parler en termes contemporains.
Désiré François Laugée était
ami avec Alexandre Dumas. Aussi ce dernier place-t-il une
reproduction de « La question »
en illustration au début de l’édition
anglaise de son œuvre « Les crimes célèbres
» (Celebrated Crimes II Ed P F COLLIER & SON New
York).
On trouve également une photographie noir et blanc de
ce tableau :