Sainte Clotilde distribuant des secours aux malades : Peinture
de Désiré François Laugée. Huile
sur toile. 6m x 4m. 1870. Peinture réalisée dans l’église
Sainte Clotilde à Paris (Transept
de gauche). Une esquisse
de cette oeuvre a été retrouvée dans
des collections privées.
Au premier plan, sur une civière, un enfant malade présenté par son père et par sa mène. A droite, un guerrier franc, vu de dos, portant un enfant sur son épaule. Au second plan, au sommet du péristyle, sainte Clotilde, sous un dais, distribue de l'argent à des pauvres. Derrière elle, deux religieuses; l'une d'elles tient le coffre où puise sainte Clotilde. Au sommet, une gloire d'anges faisant de la musique ou déroulant des banderoles.
Adolphe Viollet-Le-Duc commente ainsi les peintures
murales de Sainte Clotilde exécutées
par Désiré François Laugée :
« Les grandes peintures murales terminées dans
l’église de Sainte Clotilde
par M. D F Laugée viennent d’être découvertes.
Elles occupent les parois latérales de la chapelle
du bras gauche du transept, en pendant avec celles de M.
Lenepveu.
Les deux sujets qu’a choisi M. Laugée
ou qui lui ont été indiqués sont : le
Baptême de Clovis et Sainte Clotilde distribuant des secours
aux malades. Dans un tableau exposé
il y a quelques années, un Saint Louis assistant des
indigents, le talent de Monsieur Laugée
s’était déjà révélé par des
qualités très particulières à l’intelligence
de la peinture décorative, qualités qui n’excluaient
pas le vif sentiment du sujet et la vérité
d’expression. Ici, le peintre a très
heureusement saisi l’occasion de déployer avec plus de largeur
et de force cette condition essentielle de l’art de la peinture
monumentale.
Dans la première composition, l’artiste
a représenté Clovis au centre du bassin
d’eau lustrale ; les pieds seuls sont immergés ; il se courbe
selon la légende traditionnelle : « Mitis, depone
colla, Sicamber ! » A sa gauche, Saint Rémy,
la tête levée vers le ciel, reçoit de la main droite,
la Sainte Ampoule que lui apporte la colombe
; un peu plus loin, les assistants de l’évêque
; à la droite du néophyte, Sainte Clotilde
à genoux avec sa suite ; un peu en arrière, les leudes,
les femmes, et au fond, sur une sorte de tribune qui domine
le baptistère, les guerriers, les
joueurs d’instruments, la foule. Au centre, un héros
tient une bannière avec l’image de saint Martin.
La scène est dominée par une gloire
où siège le Christ entouré de quatre
apôtres.
La seconde surface à droite représente sainte Clotilde
au sommet d’un perron dont les marches coupent diagonalement le tableau.
Un dais protège la Reine, qui est debout ; d’une
main elle puise l’argent dans un coffre, et de l’autre
elle le distribue à des groupes d’hommes et de femmes qui gravissent
les degrés. Au bas du perron est étendu sur un brancard un adolescent
malade. Ceux qui l’ont apporté le soutiennent ou prient à
ses pieds. Un vieux guerrier, vu de dos, présente
un petit enfant à l’une des suivantes de la sainte.
Je le répète, dans la peinture religieuse et
monumentale, il y a deux conditions à remplir : l’expression
de la moralité, du pathétique,
et une autre qui, pour être plus matérielle,
n’est pas moins importante, l’observation de
l’harmonie des lignes et de la couleur dans les relations
de celles-ci avec l’architecture. Beaucoup de nos artistes,
et des meilleurs, ont souvent oublié ce précepte élémentaire.
Ils ont été plutôt préoccupés, comme il
est arrivé récemment à un habile sculpteur,
de terminer une composition d’un caractère isolé,
concentré, personnel et indépendant, qu’une œuvre
qui aurait participé, par la concordance de l’effet, au style
du monument et à son ensemble.
Monsieur Laugée me paraît être un des
artistes de notre temps qui ont le mieux concilié
ces éléments de succès. Son style
lui est bien propre et n’a rien de banal. Les sujets
qu’il a représentés respirent cette simplicité
rustique qui devait présider aux scènes
et aux solennités des époques du christianisme
primitif, sans que cependant il y ait rien d’aride ou de sec dans la
forme. Les expressions sont élevées, mais avec
la rudesse de ces mœurs à peine dégrossies. Sous le chrétien
on devine encore le sauvage. A côté de cette
observation, de ce respect du sujet, le
peintre a très bien assimilé les lignes de
sa composition, son exécution, sa
couleur, sa touche, au style,
au caractère de l’édifice.
Son pinceau est discret et suave comme ces arceaux
et ces ogives qui entourent et dominent la scène.
»
Henri Delaborde dans Le Salon de 1870 de la Revue des Deux Mondes en1870, écrit : C'est également par une très heureuse association des suggestions du goût personnel et des enseignements dus aux maîtres que se distinguent les deux grandes compositions dont M. Laugée a orné l'un des bras de la croix dans l'église de Sainte-Clotilde à Paris. Ici toutefois les exemples qu'avait consultés M. Hesse ne pouvaient utilement trouver leur emploi, et la méprise eût été grande de demander aux peintres vénitiens des leçons pour représenter le Baptême de Clovis ou sainte Clotilde secourant les pauvres. Aussi M. Laugée s'est-il adressé ailleurs. Tout en faisant à la couleur une part assez large pour que la signification des deux scènes achevât par là de se dégager, il n'a eu garde de rechercher cet éclat dans les tons, ce luxe qu'excluaient naturellement les conditions morales de la tâche et le lieu où il devait l'accomplir. Ce serait plutôt de certaines fresques appartenant à l'école bolonaise qu'il semblerait avoir pris conseil, et s'il fallait, pour faire pressentir les caractères de son œuvre, choisir un-type dans le passé, peut-être serait-on autorisé à dire que la sainte Clotilde secourant les pauvres procède des scènes de la vie de sainte Cécile peintes par le Dominiquin, à Rome, sur les murs de Saint-Louis-des-Français. A quoi bon insister au surplus? La manière de M. Laugée est en réalité trop éclectique, elle révèle, dans les intentions comme dans les formes du style, un désir trop sincère de concilier les traditions consacrées avec des aspirations toutes modernes pour qu'on cherche à lui assigner d'autres origines que sa modération même et sa studieuse bonne foi. Veut-on des preuves de cette habileté à rapprocher et à fondre des éléments contraires en apparence, que l'on jette les yeux sur les figures qui reçoivent les aumônes de la sainte, et notamment sur l'enfant placé en face d'elle. Il y a là, dans la simplicité des attitudes et des gestes, dans la franchise avec laquelle les haillons mêmes sont reproduits, quelque chose de véridique et de foncièrement naturel qui accentue le fait représenté dans le sens de nos coutumes d'esprit ou de nos inclinations présentes, tandis que l'ordonnance générale de la scène garde une majesté architectonique aussi conforme aux souvenirs de l'art classique qu'aux exigences spéciales du sujet. N'était çà et là quelques traces d'incertitude, quelques faiblesses même, — dans le dessin par exemple de la religieuse qui se penche vers un pauvre, vu de dos au premier plan, — ou si, dans le Baptême de Clovis, la recherche de l'harmonie n'aboutissait parfois à un coloris trop tendre, à une délicatesse voisine de la fadeur, l'œuvre de M. Laugée ne mériterait guère que des éloges. Telle qu'elle est et malgré ces imperfections de détail, elle prend rang parmi les meilleures peintures monumentales que notre école ait produites depuis le jour où. M. Lenepveu achevait de décorer l'autre partie du transept dans cette même église de Sainte-Clotilde, et où M. Hesse livrait au public sa belle chapelle dans l'église de Saint-Gervais.