Un nouveau-né : Peinture de Désiré
François Laugée. Présentée au Salon
de 1863
Commentée comme suit dans Le Progrès du 26 janvier 1864, par Alexis Duval : « Nous citerons
en première ligne la toile de M. Laugée : Un Nouveau-né. Pourquoi ne vous avons nous pas parlé
de cette petite perle ? nous osons à peine l’avouer
? ne serait-ce pas un sentiment d’admirateur égoïste, qui
chaque jour nous faisait payer un tribut de sympathies à cette calme
et pure petite scène sans vous en faire part ? Chacun
l’entoure ce nouveau-né, chacun lui fait fête,
le soleil lui-même, en dehors, lui apporte son sourire. Sera-t-il dieu,
diable ou simple homme ? semble penser l’auteur de
ses jours si chers qui, complaisamment appuyé sur le lit de la mère,
brûle en philosophe l’encens prolétaire d’une pipe.
Il règne dans cette pauvre chambrette un calme que vous n’eussiez
jamais supposés renfermés dans ces tubes de plomb dont les peintres expriment les couleurs sur leur palette. Ne trouvez-vous pas que la nature imitée à ce point-là suffit bien pour élever l’homme
au degré de singe très perfectionné ? »
Dans le Journal des Débats du mardi 2 juin 1863, Adolphe Viollet-le-Duc commente le tableau ainsi : Chez M. Laugée, au contraire, qui nous montre une scène semblable dans une chambre nue, habitée par de pauvres gens, nous nous sentons émus jusqu'au plus profond du cœur.
C'est qu'ici les mouvements de l'âme sont exprimés d'une manière si vive et si puissante, qu'ils s'emparent de tout l'intérêt. Ailleurs nous voyons la profusion du détail et de l'accessoire, ou les subtilités de l'esprit absorber la pensée du peintre; ici, tout se concentre dans l'expression de l'attendrissement de cette famille, qui salue le nouveau venu, les uns, les plus jeunes, avec
une joie naïve, les vieux avec une reconnaissance mêlée de compassion. Tout se résume dans la force de l'idée et dans l'épanouissement du plus pur des sentiments humains.
Le tableau de M. Laugée avec sa dimension restreinte et son humble sujet, sera donc un enseignement précieux, parce qu'il résout un problème qui agite depuis quelques années le domaine des arts, et qu'il nous montre que la réalité la plus austère peut être acceptée même entourée des rigueurs de l'indigence et de la rusticité, si elle est illuminée d'une étincelle qu'une bonne pensée aura fait jaillir, et que plus l'habillement sera pauvre et sévère, plus la parole sera fière et généreuse. C'est là le vrai réalisme et la seule condition de son existence, c'est ainsi que ce coté de l'art peut avoir son rôle, comme la peinture des grands enseignements de l'histoire.
Si au contraire on nous montre le peuple dégradé, avili par le vice ou les mauvaises passions, on l'abaisse au dessous des animaux, ou si par l'ambition d'une moralité sociale on nous le représente abruti par le travail, on le calomnie en méconnaissant en lui l'expression de l'âme humaine qui éclate sur le visage de l'homme, tout défiguré qu'il est par la souffrance, dans les traits du laboureur qui cultive son champ et. l'arrose de ses sueurs, comme dans les yeux du soldat qui combat pour son pays.