Nécrologie
de Jean-Baptiste Malézieux
Nauroy
(Aisne).
UN PHILOSOPHE
Le 13 novembre dernier, mourait
à Nauroy,
dans le canton du Câtelet,
un homme dont la vie comporte plus d’un
enseignement.
Ce citoyen connu par la plupart de ceux qui liront
ces lignes, s’appelait Jean-Baptiste
Malézieux.
Ce nom rappelle d’ailleurs une généalogie
dans laquelle on peut découvrir des figures
qui ne furent pas sans éclat ? Musiciens,
architectes, ingénieurs,
la science voisine avec les beaux-arts,
qu’un Laugée-Malézieux
honore par sa maîtrise, décidément
acquise à la renommée.
Nous ne parlerons aujourd’hui que de Jean-Baptiste
Malézieux, Patiot
pour les heureux qui formèrent son cercle
le plus intime, et cela parce qu’au-dessus
de ses dons incontestables de peintre
né, il fut, avant tout, un philosophe.
Cette appellation est-elle prétentieuse
? Peut-être.
Nous entendons par philosophie,
la connaissance de toutes choses susceptibles
d’interprétation par les concepts
humains, de tous les phénomènes
physiques dans leurs causes et
leurs effets. Dans ce sens et dans celui plus
complexe des sciences morales
et intellectuelles, n’est
philosophe que celui dont le
savoir, étendu à l’universalité
des manifestations mondiales, a, dans un effort
inouÏ de la pensée, traduit ou essayé
de traduire expérimentalement la cause
peut-être unique d’effets infiniment
variés.
Cette philosophie là rayonne
à travers la postérité.
Elle représente le sommum de l’effort,
tenté par le summum du génie
: Platon, Marc-Aurèle,
Spinoza. Ceux-là sont
de tous les siècles, comme le Désir,
la Douleur ou la Joie sont de tous les temps.
Ils s’élèvent, par l’enseignement
ancestral, au-dessus des bornes imposées
à l’esprit de chacun et la plupart
d’entre nous, sur la foi de quelques initiés,
les admire sans les comprendre.
Mais il est une autre philosophie,
dont le sens à la fois plus étymologique
et plus accepté, s’essaye aux fécondes
démonstrations, esquisse le geste d’amour
et de fraternité aux hommes perdus dans
la mêlée des haines et des injustices
sociales.
Jean-Baptiste Malézieux,
que la terre recouvre, fut de ceux-là.
Nature artiste, cœur droit,
enthousiasme pur, il élève son rêve
jusqu’à l’apostolat. Les ronces
du chemin, les lazzis et les piqûres des
puissants et de leurs laquais n’ébranlèrent
point sa foi. La gloire bébête et
factice, l’arrogance des parvenus que l’indépendance
révolte, ne lui inspirèrent que
pitié.
Il ne comprit rien de ce qu’il faut comprendre.
La civilité puérile et grotesque,
les conventions hypocrites, le livre des lois
codifiant le geste et l’action se heurtèrent
à sa nature rebelle. Une sève généreuse
coulait en lui, et ses actes, pures émanations
de son âme de beauté, confirmèrent
jusqu’au bout l’élévation
d’un vrai caractère. Ceux qui, comme
lui, crurent à de meilleures destinées,
méritent plus que notre estime. La chaleur
de leurs convictions, résistant aux assauts
de l’adversité est communicative.
Elle fait réfléchir les brutes,
stimule la résistance des peureux et fait
fleurir aux cœurs des déshérités
la gamme des espoirs généreux.
Jean-Baptiste Malézieux
ne connut point la haine. A ses yeux, la nature
se muait toute entière en apothéose.
Les bleus suaves, les ocres atténués
et perdus vers les horizons fuyants s’amalgamaient
en harmonie, et dans sa contemplation
du spectacle universel, une indicible illusion
de solidarité lui proclamait le besoin
d’aimer.
Et il aima.
Il aima d’une manière géniale
et supérieure. Toutes choses dans la nature
lui apparaissent indissolublement liées.
Il sentit en toute créature l’émanation
directe d’une puissance maîtresse
qui fut pour toute sa vie l’objet de sa
passion. Et cette croyance, respectable parce
que sincère, fut cause de l’émotion
perpétuelle qui le soutint dans sa rude
étape d’artiste, sillonnée
si souvent d’avatars. Il subit sans acrimonie
le panmuflisme des imprudents, attelés
aux abrutissoirs de l’Autel et du Capital
qui le punirent de sa franchise, en négligeant
de se servir d’un talent qu’ils ne
pouvaient prostituer.
Malézieux fut un philosophe
dans l’acception la plus humaine du terme.
Il était passionné de justice,
ami du bien, ouvrier de la fraternité.
Des dons que la nature lui avait impartis, il
ne sut rien monnayer. Il ne devint ni menteur,
ni servile, et, autant qu’il se peut au
pouvoir de l’homme, il idéalisa jusqu’à
la majesté l’humanité
future, élevée aux notions de justice,
par la pratique de la liberté
et de la bonté.
De tels hommes sont beaux. Ca et là ils
jettent le grain d’où naîtront
les moissons futures. Utopistes généreux,
rêveurs à la foi robuste et saine,
ils passent en disant aux hommes leurs espoirs.
Dans la cité d’iniquités de
nos temps puériles, dans la véhémence
des luttes égoïstes, hauts et fiers,
ils retrempent les âmes découragées,
par leurs prédictions de nouvelles aurores.
Aurores ardentes, marche des peuples en puissance
de conquêtes, non par les routes ensanglantées
du glaive et de l’obusier, mais guidés
par l’étoile qui brille au Temple
de la Concorde et de la Paix.
Le souvenir de Jean-Baptiste Malézieux
nous réconforte. Nous saluons en lui tout
ce que peut contenir d’imprévue heureux
le perpétuel devenir social : Justice,
Amour, Solidarité.
Zéphir Dallenghein
29 novembre 1906
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de Jean-Baptiste Malézieux
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